Flying Rock’n Roll…
Tout commence par un pluvieux dimanche pascal. Un clic plein d’espérance sur le site de Météo France et c’est le déclic : une analyse poussée s’en suit qui n’a d’autre prétention que de passer le temps entre les gouttes de pluie. Quatre sites météo ne suffiront pas pour prédire un bon sud au déco du Pic à midi. Désespérément nord le matin et ouest l’après-midi…mais instable, assurément. Surgit l’espoir d’un premier vrai cross. Une plongée perplexe dans les zones interdites de vol qui cernent notre beau sommet et me voilà éditant une carte qui va jusqu’à Rians, terre lointaine s’il en est. A peine 20 km. Mais est-ce bien nécessaire d’éditer une carte pour 20 petits kilomètres ? Dans un élan de vanité, j’édite encore une autre carte : celle du bout du monde, toujours plus à l’ouest, constellée de terres inconnues, aux noms tous plus exotiques les uns que les autres : Ginasservis, St Julien, La Verdière et même Quinson ou encore Montmeyan…Plus loin encore, la tâche azur de l’inaccessible Graal : Sainte Croix. Tout ambitieux trouve ses limites : je m’abstiens d’imprimer une troisième carte mais j’en étudie quand même les contours. Des berges inaccessibles, le Verdon qui coupe en deux les terres lointaines et rend improbable tout retour depuis le plat pays du nord…
Dimanche soir le programme est établi pour le lendemain : 6h : réveil. Montée à la Sainte Baume. Décollage au lever du soleil. 9h: en route pour St Ser. 10h : vertigineuse ascension jusqu’au Pic des Mouches. Au premier pet de sud : départ en cross, soit d’après la fine analyse susmentionnée un départ pour les contrées de l’est vers midi.
Lundi 6h. Les premiers chants d’oiseaux peinent à me sortir de rêveries aériennes. Ce froid matin de printemps me trouve escaladant la première Sainte du programme par sa face obscure. Au premiers rayons du soleil, je déploie mes ailes et me voilà glissant vers les brumes matinales. C’est 2 minutes et 73 secondes de bonheur plus tard, posé dans la rosée de ce printanier matin, que je transforme le beau papillon en vilaine chrysalide boueuse. Retour à la maison où Cathy m’attend dans un parfum de thé et de pain grillé.
9h. Précis comme le facteur, nous partons Cathy et moi pour la route de Saint Ser.
10h. Nous voilà besogneux, attelés à notre fardeau et cheminant sur les sentes escarpées vers les cimes prometteuses. La seconde Sainte nous écoute bienveillante, qui devisons chemin faisant avec Marc Lassale, rencontré au parking. Vingt ascensions nous fîmes, racontant les folles aventures alpines de nos jeunes années. Un peu sous le sommet, une brise descendante souffle sur les conversations. De victorieux assauts de citadelles imprenables, nous ne parlons plus. Il est question de piètres redescentes à pied ou de l’espoir chimérique d’un vol aventureux en face nord.
11h. Je déplie la chrysalide et la mets à sécher au soleil. Viens le temps des salutations et du casse-croûte, l’œil rivé sur la girouette qui pointe obstinément le nord. Un éphémère zéphire agite parfois les faveurs en sens inverse, gonflant nos cœurs téméraires du fol espoir d’un départ prochain pour les lointaines contrées du Graal.
12h. Ca fait pas le quart d’une heure que ça a tourné au sud. Déjà Marc est prêt qui ouvre la voie. Je lui emboîte le pas au plus fort d’une brise encore incertaine ; un peu tôt, mais la chance ne sourit-elle pas aux audacieux ? Non, le verdict tombe : je m’enterre lentement mais sûrement. De vaines tentatives au Baou de l’Aigle en tout aussi inefficace exploration au dessus des lames qui surplombent l’intermédiaire, je plonge avec l’énergie du désespoir vers la Chapelle. Je croise de près un premier de cordée qui escalade le piton au dessus de la Chapelle. L’odeur du pré n’est plus très loin quand un bip providentiel retentit. Quelques virevoltes plus tard me voilà tiré d’affaire cent ou deux cents mètres au dessus des crêtes. Direction le Baou des Vespres au dessus duquel un gros joufflu fait déjà la joie d’un pilote plus inspiré.
Commence alors une valse printanière qui me laisse dubitatif. Pas un instant qui ne tolère la moindre inattention. Si la voile ne plonge pas, elle cabre ou alors il semble bien qu’un marionnettiste ivre me tire par les ficelles de droite puis celles de gauche. Mais ça monte…peu importe comment. Un coup du gros joufflu. Or la vanité du cavalier qui croît avoir dompté sa monture n’a pas de bornes : j’attaque le gros joufflu grisonnant par un côté : orgueilleux mais pas téméraire. Bientôt de sirupeux filets de brumes entourent la voile puis déjà l’arête de la Sainte Victoire disparaît par intermittence. 2500 m. Les barbules. Mon premier nuage ! Diable qu’il fait froid. Les doigts sont gourds et déjà je regrette les gants de soie rangés inutilement dans mon dos avec le pantalon de ski. Quelle andouille ! Jamais je ne tiendrai avec un froid pareil. Et puis ce rodéo qui a repris et cette monture que je croyais domptée…
Mais c’est sans compter sur le sang bauju qui coule dans mes veines. Je décide de fausser malsaine compagnie au gros joufflu noiraud et part en direction du petit joufflu blanc d’à côté qui m’ouvre les portes des territoires du nord. A 2500m d’altitude, je tente une téméraire escapade en direction de l’atterrissage de l’envers du Col des Portes.
C’est alors que j’aperçois en plein dans l’est une rue de nuages qui trace la voie vers le pays du très saint Graal. Bras haut, je quitte le petit joufflu blanc du nord. Pas un regard pour l’atterro nord. Tout mon être est tendu vers ce lointain espoir à l’est : le prochain cumulus. Le vent est-il avec moi ? Ou contre moi ? Comment savoir, pendu là-haut alors que tout en bas me semble presque immobile ? Que les minutes sont longues. Et ce vario qui entonne la marche funèbre dans un registre de basse que je ne lui connais pas. Et cette saloperie d’accélérateur que je n’arrive pas attraper avec mon talon. Je lâche une commande et décroche la saloperie d’une main engourdie, priant pour que rien ne se passe là-haut avant que je n’ai repris le contrôle du frein tribord. Le vario se mut en contrebasse. Filer d’ici à tout prix. Je file jambes tendues vers ce nuage qui enfle mais ne semble pas vouloir se rapprocher.
2000m : -3m/s. 1800m : -2m/s. Les jambes qui tremblent. 1600m : j’abandonne l’accélérateur, les jambes tétanisées. -1m/s. 1500m. Puis le vario entonne un léger air d’alto puis de soprano et enfin la Castafiore. Ouf ! sauvé ! Je réalise alors que je suis parti. La Sainte est déjà derrière et sous mes pieds l’inconnu, inhospitalier. Mais qui s’éloigne à 2 m/s et c’est tout ce qui compte. Je tente un appel à la radio pour prévenir Cathy de mon départ… personne ne répond et je suis bien seul. Appliqué je suis : plus ça bip moins fort plus je ressers le virage, moins ça bip plus fort plus j’élargis la trajectoire : enfin c’est à peu près ce qui est écrit dans le manuel. Surtout ne pas perdre cette pompe au dessus de la forêt. Y’a bien une clairière d’herbe par là à gauche mais il doit falloir marcher deux plombes dans la forêt, sans boussole avant de trouver la moindre départementale déserte. Surtout ne pas perdre cet ascenseur. Résumons bien la situation : je n’ai pas de boussole (je l’ai déjà dit) ; le bouteille d’eau est vide (je n’ai monté que 50 cl pour ne pas porter trop lourd) ; j’ai intelligemment mis le téléphone portable à charger avant de quitter la maison et l’ai abandonné ainsi afin qu’il soit bien chargé quand je rentrerai ; le portefeuille est dans la voiture (avec son contenu sonnant et trébuchant) ; personne ne répond en radio (Cathy est sur une autre fréquence mais je ne le sais pas encore, pas plus que pour sa clef de voiture qui est… enfermée dans la voiture et le double dans ma poche de pantalon) ; je n’ai pas mis mes gans de soie (comme je le regrette) ; pas plus que le pantalon de ski (que j’ai pourtant porté jusqu’au Pic). Je me les caille menu. Il fait 2°C. Mais je suis heureux parce qu’à 2200m.
Maintenant je connais la chanson. -2m/s puis -3m/s. Accélérateur à fond, mais j’ai amélioré la technique : une seule jambe tendue pendant que l’autre se repose. Toutes les minutes je change de jambe. Ca danse un peu là-haut à chaque relève mais bon, je fatigue moins.
Tiens, je ne suis plus seul. On enroule à trois. C’est rassurant. Un pilote hurle :
- qui c’est ?
- Laurent !
- …michel et ….avec toi !
Pas pour longtemps. Quelques tours plus tard, ils sont déjà partis plus vers l’est quand dix fois j’ai perdu le thermique. Dix fois retrouvé, mais ça monte de moins en moins. Je suis au dessus de la ligne à haute tension. Au moins, je sais où je suis. C’est toujours ça ! Un gars en livrée rouge est enterré sous-moi : il monte pas d’un poil. Moi non plus. 1800m. Partir pendant qu’il est encore temps. Fuir. Les pilotes de tout à l‘heure montrent le chemin : on dirait qu’ils montent à moins que je ne descende… à toute vitesse : -3,5m/s. Accélérateur à fond, je quitte l’ombre froide pour le soleil ; je lâche les commandes, secoue les mains et les cache dans mon dos pour abriter ce qui reste de mes pauvres doigts. Il me semble bien qu’ils finissent par se réchauffer.
A partir de là, je vole dans le sillage d’autres parapentes qui m’aident à trouver le bon côté du nuage. Perché la haut je n’ai toujours pas compris d’où vient le vent et ne sais jamais où trouver le thermique. Puis c’est au tour de trois planeurs loin au dessus de me montrer la pompe jusqu’à 2740m.
Et soudain là-bas plus très loin à portée d’une transition ou deux… ou trois, un éclair bleu : le Graal. Le lac de Sainte Croix. Inespéré et pourtant tant espéré.
A la radio des pilotes disent qu’ils sont contrés. Je regarde le sol qui défile vite malgré l’altitude : ça doit effectivement souffler.
De transition en thermique et de thermique en transition, à toute vitesse, le Graal approche. J’y suis presque.
Un écrin bleu : le lavabo d’un géant. Que j’aperçois en arrière plan avec sa gueule béante et ses dents blanches, qui rit à gorge déployée en me voyant arriver, petit fétu porté par un courant d’air. Le saligot à planté ses cure-dents sur la rive nord du lavabo. Un vrai piège à papillons !
Il est temps de songer au retour. Trouver une route qui va dans le bon sens, avec un flux de voiture suffisant. J’ai vu ça tout à l’heure mais c’est déjà loin au vent.
Prendre un maximum d’altitude dans ce thermique au bord du lac et repartir d’où je viens.
Accéléré au maximum, face au vent j’avance à peine mais sans trop descendre.
Patienter et tenir.
Arrive la plaine tant attendue avec la dite route, dans le bon sens.
Repérer un terrain…sans vignes, si possible. Au loin on dirait un stade de foot. J’y vais. J’arrive au dessus à 1500 m. C’est bête un stade de foot : c’est bordé de grillages. Changement de destination : le champ en friche à côté. Très bien. Son grand axe est face au vent. Plus qu’à descendre…enfin presque : bip…….bip…bip, bip, biiiiiip !
Chercher un endroit où ça descend…ou du moins où ça monte le moins possible !
Tout y passe : 360, B , re-360. Enfin le sol approche. Gare au gradient. Garder de la vitesse : mains hautes. Effectivement la voile ne cesse de plonger pour reprendre de la vitesse. Je rase les herbes, tire progressivement les commandes et pose comme une fleur…un peu fané après 4 heures en l’air mais ébloui !
La voile en boule, je me dirige vers un moche bâtiment à la recherche d’un terrain plus accueillant pour plier et surtout d’une quelconque indication du lieu où j’ai atterri. En grosse lettres verte sur le bardage gris, il est écrit : Casino REGUSSE.
Commence alors la partie la plus incertaine de tout le périple. Passent les voitures mais sans succès. Il faut se rendre à l’évidence. De tous les accessoires que j’ai oublié, le plus essentiel est bien le kit de retour rapide: 2 pommes, une ficelle et une perruque.
Enfin comme tout arrive à qui sait attendre, une première voiture m’emmène jusqu’à La Verdière. Là, je rencontre Hugues de La Verdière, lavant sa camionnette au karcher. Je quémande un peu d’eau, ce qui ne semble pas le ravir (j’aurais vraiment dû prendre cette perruque !) C’est donc à sec (faute de perruque) que je finis par trouver preneur. Un couple et leur fils qui me ramène à Saint Ser en échange du récit des mes vaillantes aventures.
L@urent.